Le bouton de nacre, de P.Guzmàn : traces de l’Histoire au fond de l’eau

affiche le bouton de nacre

A l’origine, la nacre vient de la mer : elle est créée, couche après couche, par les coquillages lorsqu’un élément étranger entre en eux, afin qu’ils s’en protègent. Ainsi jusqu’à former une perle, dont l’homme peut apercevoir l’éclat irisé au fond de l’eau et qu’il pêchera, avide de la transformer en bijoux, en boutons, en palais.

Un bouton de nacre a été retrouvé au fond de l’Océan Pacifique, nous raconte Patricio Guzmàn, et c’est l’Histoire des hommes qui miroite en lui.

jemmy buttonD’abord celle de Jemmy Button, un jeune Sud-Amérindien de Patagonie, issu de l’une des tribus nomades naviguant à bord de pirogues dans les îles de la Terre de Feu. « Button » : vous aurez reconnu un patronyme créé de toute pièce, en référence à la monnaie d’échange (un bouton) qui permis au capitaine anglais Fitzroy, explorateur et cartographe, d’embarquer le jeune « sauvage » pour l’Angleterre, en 1830, où il tâchera de le civiliser. Habillé, familiarisé à l’Anglais, à l’Évangile et aux bonnes manières, transformé en gentleman à l’image du bouton de nacre qui fut le prix de son exil et le signe de son acculturation, Jemmy Button fut ramené des années plus tard par le capitaine à l’endroit d’où il venait. Il ôta alors ses vêtements, mais devint et resta pour toujours un exilé sur sa propre terre. S’il fut une curiosité exotique dans les milieux londoniens du milieu du XIXe siècle, il est aujourd’hui le symbole de la colonisation et du génocide perpétué contre les tribus sud-amérindiennes.

Mais l’écume d’un autre massacre remue. Car accroché au bouton de nacre trouvé au fonds de l’océan pacifique, un long rail de fer a été ramené à la surface, rouillé, recouvert de sédiments de coquillages. Malgré ces dépôts du temps et de l’oubli, une autre Histoire reflue des fonds marins : celle des « portés disparus » de la dictature de Pinochet, au Chili, de 1974 à 1990.

Cette obsession de la mémoire et de la justice hantait déjà la première pierre du diptyque (futur triptyque?) de Patricio Guzmàn, La Nostalgie de la lumière (2010), film dans lequel le réalisateur suivait les traces des cadavres de la dictature chilienne dans le désert d’Atacama, au nord du Chili, dispersés par le gouvernement, à 3000 mètres d’altitude, au plus près des étoiles. Là des astronomes cherchaient dans le ciel l’histoire du cosmos, et d’autres, dans les poussières du sable, leur propre histoire. Mais n’est-ce pas une seule et même chose?nostalgie lumière

Le bouton de nacre nous immerge dans l’univers matriciel de l’eau, qui est vie, mais aussi cimetière, lorsque l’homme dévie de son cours, de son humanité. Ainsi le gouvernement de Pinochet chargea-t-il la mer, comme il l’avait fait du désert, d’effacer les traces des arrestations arbitraires, tortures et assassinats commis sous (et au nom de) ce régime. Ainsi plus d’un millier de fonctionnaires ont jeté dans l’océan, depuis des hélicoptères, les corps de plus d’un millier de personnes, chacun ligoté et solidement attaché à un lourd rail de fer, dont le poids assurera leur ensevelissement et le silence.

Sauf un : celui d’une femme, Marta Ugarte, enseignante pro-communiste. Une disparue dont le corps a été jeté à la mer, vivant, lacéré, portant des traces de torture. Mais mal attaché, il se détacha du rail et fut ramené au rivage et à la mémoire des hommes.

La mer a parlé. Elle réclame justice.

l'eau

Le bouton de nacre révèle, dans un écrin de cinéma, la cruauté des hommes et leur histoire d’extermination. Le chant de la mer se mêle aux cris des victimes et des bourreaux. Aux voix des survivants à qui Patriocio Guzmàn donne la parole. A ceux qui restent et peuvent encore parler. La sublimation s’opère dans ce poème des fonds marins, mais la réalité de massacre, de torture et de mensonges n’en finit pas de résonner, comme l’on peut entendre le ressac dans la valve d’un coquillage.

 Le Bouton de nacre, documentaire chilien de Patricio Guzmàn, 2015 : http://www.allocine.fr/recherche/?q=le+bouton+de+nacre

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